"C’est le ciel qu’on touche lorsqu’on touche un corps humain". Novalis (18ème siècle)
Juste devant moi et au premier rang de l’assemblée, un jeune couple est venu s’asseoir avec un tout petit bébé, blotti contre la mère. La célébration est déjà commencée lorsque la jeune femme, aidée par son compagnon, déploie un grand châle mauve, s’en couvre les épaules et le bébé. Au bruit de succion, je comprends qu’elle lui donne le sein. En cette matinée estivale, la célébration a lieu dans une cathédrale de verdure, face à un petit sanctuaire champêtre. Maintenant débute la prière eucharistique que le jeune célébrant dit avec beaucoup d’intériorité. Et pendant qu’il prononce les paroles consécratoires : Ceci est mon Corps, livré pour vous…, me voici emporté vers un nouvel horizon, dans cette double célébration des corps qui se donnent en donnant vie !
Dans cet instant, m’apparait de façon éclatante la place juste du corps, celui des parents que j’ai devant moi, celui du nouveau-né, celui du Christ… et le mien. Pourtant, nous, Occidentaux, vivons notre corps plutôt comme un objet : « J’ai un corps », comme j’ai une voiture. Il est alors un bel outil à nourrir, à mettre en valeur, à entraîner, éventuellement à guérir. Un objet qui permet d’assumer les responsabilités, de bien vivre, qui permet aussi séduction et plaisir. Toutes choses importantes, mais qui masquent un grave déficit : nous avons peine à vivre « ce corps que je suis ».
Car il est d’abord ton lieu essentiel de communication. Le couple que j’avais devant moi se disait son amour par l’intermédiaire du corps : gestes, paroles, regards, et par le fruit de cet amour qu’ils entouraient de soin. Toi et moi, comme tout Homme, nous avons un besoin impérieux de rencontrer nos semblables, de faire corps avec eux, de participer à la marche de la société. Nous avons expérimenté, avec difficulté et frustration, la tristesse douloureuse du confinement et des impératifs gestes-barrière. Le corps est donc ce lieu de passage et de dynamisation qui permet de vivre-avec. Communication encore : c’est par lui que nous percevons et accueillons les grandes énergies de l’Univers. Par exemple l’énergie vitale qui fait se lever le matin, aller à ses occupations, développer sa créativité, affirmer sa place dans ce monde… Energie qui doit être sans cesse accueillie et entretenue. Mais aussi régulée et orientée, pour qu’elle soit mise au service de ton chemin de vie et de celui des autres. Si ce n’est pas le cas, elle dévie, devient tyrannique et t’asservit.
De plus, ce Corps-que-je-suis est à tout instant lieu de vérification de la justesse de notre existence. S’il y a de la cohérence en nous-mêmes, notre corps le manifeste par de la dynamique et de l’ouverture : il est validation de la qualité de notre vie. Si par contre nous ne cherchons pas l’unité entre les dimensions spirituelle, psychologique et physique de notre être, le corps le manifeste par des lourdeurs, parfois des blocages ou même des maladies, qui sont en fait un appel à s’unifier.
C’est pourquoi il est nécessaire de donner au corps sa juste place. D’abord en l’acceptant et l’aimant, même si nous n’en sommes pas toujours fiers. Ensuite en prenant soin de lui et en le valorisant, pour faire honneur à la Vie. Mais attention au piège, toujours présent, du narcissisme. Nécessaire aussi de le connaitre dans la délicatesse et la complexité de son fonctionnement intérieur ; afin de savoir intuitivement ce qu’il peut, ou ne peut pas. Même si parfois une loi qui n’est pas de ce monde nous amène à lui demander ce qui semblait au dessus de ses forces. Enfin, nous ne pouvons oublier une autre parole de Novalis : « Il n’y a qu’un temple au monde, et c’est le corps humain ». Ton corps est en effet la demeure du Souffle Saint. C’est ce que je voyais dans les paroles et gestes du prêtre, particulièrement lorsqu’il reprenait ceux du Christ « Ceci est mon corps ». Dieu, qui est esprit, se donne à travers ces corps symboliques que sont l’autre, le pain, consacré ou non, la beauté, l’amour, la création, l’espérance…
10 clés pour croître
Prends un petit moment de silence pour regarder ta main. Reste quelques minutes à la contempler, posée immobile et détendue sur la table. Sens-tu monter en toi un étonnement ? Comme si ta main était devenue un élément autonome et surprenant ?
Lorsque tu marches sans autre but que te promener, reste attentif au mouvement de tes jambes et de tes pieds, à la sensation du sol au travers de tes chaussures. Peux-tu détailler l’extraordinaire mécanique qui te permet d’avancer ?
Etends toi au sol, sur un tapis, et passe en revue ton corps tout entier ; fais descendre ta conscience lentement, sans y réfléchir, comme un scanner, depuis la tête jusqu’aux pieds, puis depuis les pieds jusqu’à la tête. Et recommence ce parcours au moins trois fois.
Lorsque tu rencontre le corps d’un autre, par l’accolade, le serrage de main, le baiser, aie conscience que tu touches du mystère ; fais le de façon affectueuse et en même temps respectueuse.
Déshabille-toi devant un grand miroir où tu te vois en entier. Parcours toutes les parties de ton corps en les regardant avec bienveillance et respect. Envoie à chacune un message de remerciement pour le service qu’elle rend. Et elle continuera, tu peux avoir confiance.
Si tu as été blessé-e dans ton enfance par des intrusions dans ton intimité, trouve quelqu’un de confiance à qui en parler longuement. Si c’est déjà fait, accueille le déséquilibre inévitable qui émane de cet empoisonnement d’autrefois, et cherche les moyens de le supporter sans sacrifier ta vie affective ou sexuelle.
Lorsque tu t’approches intimement de quelqu’un, garde en mémoire le fait qu’il ne s’agit pas seulement d’une rencontre de deux sexes : tu es en fusion avec une réalité immense dont tu ne touches qu’une partie. N’oublie pas de dire à cette personne que tu as de l’amour pour la totalité d’elle-même.
Le fait de se nourrir est essentiel. Trouve une sagesse du manger et du boire : ni trop, ni trop peu, mais de façon juste. Goute les aliments avec reconnaissance : c’est la terre, le créateur et les travailleurs qui les apportent sur ta table. Prends un instant de conscience pour cela : on l’appelle Bénédicité.
Le repos et le sommeil, eux aussi, sont essentiels. Assure à ton corps le nombre d’heures de sommeil dont il a besoin, même si, pour cela, tu dois restreindre tes occupations ou loisirs. Souviens-toi de tes rêves et cherche à comprendre leur langage.
Si tu es disciple du Christ, met en évidence une image du Seigneur, par exemple une croix où il est attaché, ou une représentation de sa transfiguration, ou de sa résurrection… Images où apparait son corps. Regarde-la avec attention, amour et prière.
Frère Benoît Billot. Article paru dans « Ecouter, contempler, s’émerveiller, Paroles de sages » Hachette 2019